Le gouvernement qui émergera de l’incertitude politique, dans laquelle la France est plongée depuis le 7 juillet, n’échappera pas, s’il veut relancer l’économie, à l’impératif énoncé en mars dernier par Emmanuel Macron, de « renforcer l’écosystème » du financement des PME — ETI cotées. Un effort auquel veut contribuer l’association représentative des valeurs moyennes Middlenext, qui appelle à revoir la réglementation en vigueur pour mieux l’adapter aux défis des entreprises de taille moyenne et intermédiaire.
Contexte politique et macroéconomique incertain, hausse des taux, inflation, augmentation des coûts de l’énergie… Les difficultés que rencontrent nos PME — ETI sont presque indénombrables. 32 % des dirigeants ont signalé une dégradation de leur trésorerie en début d’année par rapport au trimestre précédent selon Bpifrance, et la majorité des structures moyennes prévoient un recul de leurs investissements cette année.
La problématique est encore plus importante pour les smallcaps et midcaps, qui pâtissent d’un manque d’investisseurs et d’une chute massive des financements vers leur segment depuis la fin de l’année 2021.
Middlenext, une association représentative des valeurs moyennes cotées, et qui publie depuis 2009 un Code de gouvernement d’entreprise bien connu des PME — ETI, tire aujourd’hui la sonnette d’alarme. Pour cette organisation, qui réalise aussi un travail d’influence important auprès des décideurs français et européens pour faire porter la voix des plus petites structures cotées, les réglementations de Paris et de Bruxelles ne sont justement plus adaptées à la réalité de ces valeurs moyennes.
PME et ETI cotées : la chute des investissements se poursuit
Le chiffre est impressionnant. Selon France Invest et Grant Thornton, depuis le deuxième semestre 2021, les investissements à destination des small et mid caps en France ont reculé de 27,5 %, avec une diminution de 15,5 % du nombre d’entreprises financées. Au premier semestre 2023, ce ne sont donc que 9,5 milliards d’euros qui ont été investis dans ce secteur, contre 15,9 Md€ injectés au courant du dernier semestre 2021.
La situation semble encore plus alarmante quand on compare le marché des small/mid caps à celui des grandes capitalisations boursières. Le CAC Mid&Small, qui regroupe 115 petites et moyennes entreprises françaises cotées, a réalisé une très modeste augmentation de 1,4 % en 2023. Une croissance insignifiante par rapport à celle de l’indice principal, le CAC 40, qui signe un excellent millésime 2023, affichant +16,5 %.
Et la situation est pire à l’échelle européenne : Euronext Growth a terminé son exercice boursier 2023 en chute libre de 10,3 % — un peu mieux qu’en 2022, année où l’indice européen des petites capitalisations avait signé un recul massif de 24,8 %.
Pour le cabinet de recherche Quantalys, la faute revient surtout au resserrement des politiques monétaires et à la hausse des taux directeurs, qui ont eu tous deux un impact négatif conséquent sur le financement des PME — ETI. « Le coût du capital des petites capitalisations augmente beaucoup plus rapidement que celui des grandes capitalisations, ce qui réduit leur capacité bénéficiaire relative », souligne Jean-François Bay, directeur du cabinet de recherche Quantalys.
Cette situation catastrophique n’étonne pas vraiment Caroline Weber, directrice générale de Middlenext. « Tout est fait pour décourager le système d’investissement dans les PME », explique-t-elle. « À partir du moment où vous avez moins de matières premières — c’est-à-dire que vous avez moins d’entreprises qui se cotent en Bourse —, vous avez forcément moins d’investisseurs qui s’y intéressent. En conséquence, vous avez moins de liquidités ». En d’autres termes, les titres des valeurs moyennes s’échangent moins facilement et moins rapidement que ceux des indices boursiers principaux, comme le CAC40.
Or c’est justement le manque de liquidité du marché des small et mid caps qui pose problème. « La performance relative des small caps est étroitement liée à la liquidité. Or, les banques centrales sont passées d’une politique d’injection de liquidités et d’expansion de leur bilan à un assèchement de cette liquidité », détaille ainsi Jean-François Bay.
En la matière, en 2023, la chute a été spectaculaire pour les small caps. Les volumes des capitaux échangés (soit le nombre d’actions qui ont changé de main) ont ainsi chuté de 24 % sur l’indice CAC Mid&Small et de 40 % sur Euronext Growth. « Sur Euronext Growth, les capitaux échangés sont même passés de 12,1 milliards d’euros en 2022, à 7,2 milliards d’euros en 2023 », indique Nisa Benaddi, associée chez Euroland Corporate.
Une réglementation peu adaptée
Si la situation macro-économique peut aussi expliquer la conjoncture maussade, elle masque un problème de fond sous-jacent, à savoir les lourdes contraintes qui pèsent à la fois sur les investisseurs et les entreprises. « Les règles qui encadrent le marché ont évolué, et ne sont plus adaptées », affirme la directrice générale de Middlenext, qui se bat justement depuis longtemps pour une adaptation des normes à destination des PME — ETI.
Car ces dernières sont soumises à la même réglementation que les grandes capitalisations (entreprises du CAC 40…) alors qu’elles connaissent des réalités et des difficultés bien différentes. « Dans un monde idéal, il faudrait un cadre réglementaire par taille d’entreprise et qui prendrait en compte la structure de l’actionnariat. Ce ne sont pas les mêmes enjeux de régulation lorsque le dirigeant est actionnaire majoritaire ou lorsqu’il est salarié », abonde Caroline Weber. Ce manque d’adaptation de la réglementation a des conséquences évidentes : le nombre d’introductions à la Bourse de Paris s’est effondré ces dernières années. L’année 2023 affiche un chiffre historiquement faible de seulement 6 IPO.
À noter que l’Europe tente tout de même de renverser la vapeur avec son nouveau Listing Act, qui devrait réduire les formalités administratives et les coûts pour les entreprises qui veulent s’introduire en bourse. Difficile de dire, pour l’heure, si cette nouvelle réglementation suffira à remotiver les structures moyennes à tenter leur chance sur les marchés financiers.
Face à la morosité des marchés et à la difficulté de contracter un emprunt bancaire, beaucoup d’entreprises finissent donc par se tourner vers des solutions alternatives pour combler les trous dans leur trésorerie.
Des alternatives pour les midcaps en quête de financement
150 millions d’euros : c’est le montant spectaculaire levé par le spécialiste français de l’électroménager Seb au courant du mois d’avril. Si l’entreprise est cotée, elle a pourtant réussi à lever cette somme en dehors de la bourse, grâce à un placement privé (PP) réalisé auprès d’investisseurs institutionnels. Moins contraignants que les offres publiques, soumises à la réglementation et au contrôle de l’AMF, les PP sont une bonne alternative à l’emprunt bancaire. De plus, les placements privés peuvent donner lieu à des levées de fonds conséquentes, comme le démontre l’exemple récent de Seb, et qui sont souvent inaccessibles via les autres formes de financement.
Les obligations constituent elles aussi une forme privilégiée de financement pour les entreprises cotées : selon la Banque de France, les entreprises introduites en Bourse financent jusqu’à 36 % de leurs investissements via émission obligataire. Certaines d’entre elles optent d’ailleurs pour une solution qui permet, tout comme les placements privés, de lever des sommes importantes sans recourir au prêt bancaire : les obligations convertibles en actions avec bons de souscription d’actions (OCABSA).
À côté des entreprises ayant besoin de cash-flow pour booster leur développement, par exemple dans le secteur de l’innovation, cette solution est particulièrement indiquée pour des sociétés en phase de retournement, qui n’ont parfois plus accès au crédit bancaire. Elles incarnent alors une solution de la dernière chance.
Problème, ici aussi, pour les PME et ETI qui pourraient y avoir recours : ce mode de financement est fortement décrié par les autorités de régulation, en raison de la dilution du capital qui l’accompagne très souvent. Si les avertissements de l’AMF sont légitimes pour les petits porteurs, il n’en reste pas moins qu’ils sont une « publicité négative » pour les OCABSA, et limitent la propension des sociétés qui auraient le profil type pour y recourir… Selon Caroline Weber, ces obligations sont certes risquées, mais elles s’avèrent pertinentes précisément dans des cas extrêmes. « Je pense que tout système qui permet d’éviter un dépôt de bilan ou une liquidation d’entreprise est bon à prendre. Avec tous les avertissements de sécurité souhaitables », souligne-t-elle. « Je pense qu’il faut tout essayer pour éviter que l’entreprise tombe ».