Depuis quelques années, une nouvelle tendance a émergé dans le domaine de la location immobilière : la demande d’une lettre de motivation. Autrefois réservée à la recherche d’emploi, cette exigence gagne du terrain, notamment à Paris.
Une évolution notable et inquiétante pour le marché locatif
À Paris, les candidats à la location sont désormais nombreux à joindre une lettre de motivation à leur dossier.
Ce phénomène s’explique par un marché immobilier particulièrement compétitif où chaque détail compte pour se démarquer. Les propriétaires parisiens, confrontés à une multitude de dossiers, ont commencé à adopter ce critère supplémentaire pour mieux sélectionner leurs locataires.
Christophe, dirigeant d’une agence immobilière dans le sud de Paris, indique que cette pratique a véritablement pris son essor ces dernières années.
C’est assez récent. Je ne sais pas si ça vient des locataires ou des propriétaires à la base, mais c’est une demande récurrente depuis deux, trois ans chez beaucoup de ces derniers.
Selon lui, la lettre de motivation est devenue presque systématique chez beaucoup de clients, qui y voient un moyen efficace de faire ressortir des qualités personnelles et professionnelles.
Je croyais que c’était obligatoire, ma proprio en demandait une pour l’appart, ça ne m’a pas semblé étrange, je l’ai faite.
Mathieu, 22 ans
Les propriétaires mettent la pression sur les agences
Patrice Petit, responsable administratif chez Orpi, observe que certaines agences incitent tacitement les candidats à fournir une lettre de motivation.
J’ai toujours cru que c’était normal. La première fois que j’ai fait une demande pour un appartement, le propriétaire me l’a demandée, donc maintenant je la fournis toujours.
Manon, 24 ans
Bien que cela ne soit pas illégal lorsqu’elle est proposée par les candidats eux-mêmes, il est illégal pour les propriétaires de l’exiger.
Nous informons les propriétaires que c’est illégal. Mais certains sont particulièrement pressants et menacent de changer de prestataire si on ne s’y plie pas…
Christophe
Cette tendance soulève surtout des préoccupations éthiques. Pour Patrice, étudier la qualité de la rédaction ou l’orthographe dans ces lettres peut parfois relever de la discrimination sociale.
Catherine, propriétaire de deux appartements à Paris, rapporte qu’avoir reçu des lettres de motivation non sollicitées a influencé positivement sa décision. À travers ces lettres, elle pouvait percevoir davantage la personnalité des candidats, ce qui lui permettait de prendre une décision plus éclairée.
Les dérives d’un marché hyper-tendu
Pour plusieurs propriétaires interrogés, la lettre de motivation offre un aperçu unique du candidat.
Au-delà des traditionnels documents financiers, cette lettre donne un visage humain aux chiffres proposés. Certains propriétaires apprécient particulièrement les récits personnels qui accompagnent ces lettres.
C’est quand même chez moi, j’ai bien le droit de savoir qui y loge, non ?
Marcel, propriétaire de 12 logements dans Paris et sa petite couronne
Ces histoires permettent de comprendre les projets et aspirations des candidats, et humanisent ainsi le processus de sélection. Par exemple, un couple souhaitant fonder une famille pourrait trouver grâce aux yeux d’un propriétaire sensible à ces valeurs familiales.
Des risques de discrimination
Cependant, cet aspect de personnalisation comporte aussi des risques significatifs de discrimination. En favorisant certains profils sur la base de leurs compétences rédactionnelles ou de leurs histoires personnelles, ceux qui maitrisent moins bien la langue française ou disposent de moins de temps pour écrire une belle lettre pourraient être désavantagés. Patrice Petit note que même si l’intention initiale n’est pas discriminatoire, la réalité peut conduire à une exclusion indirecte.
Une pratique déjà présente dans d’autres villes ?
Alors que cette pratique reste majoritairement concentrée à Paris, beaucoup anticipent une propagation rapide dans d’autres grandes villes françaises en tension comme Lyon, Bordeaux et Marseille.
Jocelyne Herbinski, de la Confédération Nationale du Logement, est convaincue que d’autres régions suivront bientôt cette tendance. La demande élevée de logements et la compétition accrue entre les locataires potentiels encourageront les mêmes comportements ailleurs.
Cette anticipation amène diverses associations de défense des locataires à redoubler d’efforts pour sensibiliser tant les propriétaires que les candidats sur les possibles dérives de cette pratique.
Vers une régulation nécessaire ?
Face à ces évolutions, certains acteurs du secteur plaident pour un encadrement plus strict. Celui-ci viserait à limiter l’importance de la lettre de motivation dans la sélection des dossiers. Bien que cet outil puisse aider les propriétaires, il reste crucial d’éviter toute forme de discrimination involontaire. Un cadre régi par des règlementations claires permettrait de garantir une équité entre tous les candidats.
