Dans un monde où la géopolitique redessine constamment les contours de l’économie globale, les jeux de pouvoir entre nations projettent des ombres persistantes sur les marchés des matières premières. Ce phénomène transforme le paysage macroéconomique et initie une ère de fragmentation commerciale et politique. Comment ces dynamiques influencent-elles vos investissements et vos choix économiques au quotidien ?
Les tensions sont au bord de la rupture
De 2000 à 2018, des événements majeurs comme les attentats du 11 septembre, les révolutions des printemps arabes et les interventions militaires en Syrie, ont influencé les marchés de l’énergie dans 70% des cas.
Récemment, la corrélation entre crises géopolitiques et problèmes d’approvisionnement en céréales a grimpé, atteignant 50% durant le conflit russo-ukrainien. La situation s’aggrave-t-elle ?
À Davos, les fervents de la mondialisation scrutent anxieusement ces tensions qui risquent de paralyser encore le commerce international, déjà mis à mal par la pandémie puis le conflit en Ukraine et maintenant celui au Moyen-Orient.
L’OMC, qui tablait en début d’octobre sur une croissance de 3,3% du commerce mondial de marchandises, se montre désormais moins optimiste. Ngozi Okonjo-Iweala, sa directrice générale, souligne l’intensification des tensions géopolitiques et les perturbations notables dans des points névralgiques comme la mer Rouge et les canaux de Suez et de Panama.
Abordées dans les bts commerce international, ces tensions géopolitiques font partie intégrante des échanges entre les pays, il est essentiel de les comprendre et de les appréhender à leur juste mesure.
Le commerce maritime en difficulté
Karen Harris, économiste chez Bain, observe que les Houthis, soutenus par l’Iran et agissant en solidarité avec les Gazaouis, redéfinissent le commerce mondial et les coûts de transport maritime.
Leur stratégie d’attaques contre les navires en mer Rouge incite de nombreux transporteurs à éviter le canal de Suez, optant pour un détour coûteux par le cap de Bonne-Espérance.
Vincent Clerc, de Maersk, prédit lors d’un panel à Davos que ces perturbations impacteront les chaînes d’approvisionnement pour plusieurs mois.
Tesla et Volvo, confrontés à des pénuries de pièces détachées, ont déjà suspendu temporairement leur production en Europe. Le Premier ministre qatari, Mohammed ben Abdulrahmane Al-Thani, prévoit des répercussions sur le transport de gaz naturel liquéfié (GNL).
Depuis plus de dix ans, l’industrie maritime a réduit la vitesse des navires pour diminuer la consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre.
Ces perturbations sur des routes commerciales essentielles en mer Rouge et canal de Suez, ainsi que des complications au canal de Panama et en mer Noire, ont poussé les opérateurs à augmenter la vitesse des navires afin de respecter les délais. Cette accélération entraîne une hausse de la consommation de carburant et des émissions de gaz à effet de serre.
Selon la CNUCED, l’augmentation de la distance parcourue et de la vitesse des navires pourrait entraîner une hausse des émissions de gaz à effet de serre de 70 % pour les trajets aller-retour.
L’écologie : un problème de taille pour le commerce international
Des milliards de dollars sont investis dans la transition vers une économie plus verte, un puissant moteur de relance et un outil essentiel contre le réchauffement climatique.
Une compétition mondiale pour réduire l’empreinte carbone est en cours, avec des investissements massifs dans les voitures électriques, les énergies renouvelables et la construction de parcs éoliens.
En 2023, la Chine mène la course avec 890 milliards de dollars, suivie par les États-Unis avec 370 milliards et l’Union européenne avec 24 milliards.
Marcelo Olarreaga explique que la Chine a été pionnière dans cette transformation, subventionnant largement le virage écologique. « Nous sommes tous devenus Chinois dans notre manière de subventionner l’économie verte, ce qui est crucial pour notre futur », dit-il.
Cependant, cette course déclenche des réflexes protectionnistes.
Face à la compétition asiatique et américaine, « l’Europe envisage des taxes à la frontière, ce qui pourrait exacerber les tensions sur la scène internationale. Au lieu d’une réponse globale à un problème mondial, nous réagissons de manière nationale », critique Olarreaga.
Le retour d’un protectionnisme exacerbé ?
Karen Harris souligne que chaque perturbation géopolitique augmente l’intérêt pour le « nearshoring » ou le « reshoring », c’est-à-dire la relocalisation ou l’implantation de productions proches géographiquement, auparavant délocalisées à l’autre bout du monde.
Cela se voit dans les initiatives comme la fabrication de vaccins en Afrique pour en faciliter l’accès local, ou les efforts de l’Europe pour attirer des usines de batteries pour véhicules électriques.
Dans un contexte de tensions géopolitiques accrues, la tendance au protectionnisme se renforce.
Le Premier ministre chinois Li Qiang a critiqué à Davos les « mesures discriminatoires » qui affectent le commerce et l’investissement. Bien qu’il n’ait pas donné de détails, ces propos semblent viser les restrictions de Washington sur l’exportation de certaines technologies avancées, comme les puces utilisées dans l’armement ou l’intelligence artificielle, justifiées par la Maison Blanche comme des mesures de sécurité nationale.
Est-il possible de faire des prévisions ?
Touchées par la guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient et les répercussions de la pandémie de Covid-19, les perspectives économiques mondiales affichent des résultats contrastés.
L’économie européenne peine à récupérer et la Chine ralentit, tandis que les États-Unis, contre toute attente, enregistrent une croissance de 2,5% en 2023.
« On redoutait une récession pour cette période, mais nous assistons à un atterrissage en douceur avec des taux de croissance modestes. »
Marcelo Olarreaga, professeur à l’Université de Genève
Malgré l’incertitude ambiante, la croissance mondiale atteint 2,6% en 2023 et devrait se stabiliser à 2,4% en 2024, d’après la Banque Mondiale. Cet optimisme est soutenu par l’assouplissement des politiques monétaires.
« Les banques centrales ont augmenté les taux d’intérêt de manière significative en 2022-2023 pour combattre l’inflation, qui est passée de 7% à moins de 3% aux États-Unis, »
précise Olarreaga, ancien économiste à la Banque Mondiale.
Cependant, des signes inquiétants demeurent. Bien que la Chine ait été un pilier de la croissance mondiale, elle est projetée à seulement 4,5% en 2024.
« La croissance interne en Chine ralentit, augmentant le risque de tensions commerciales et potentiellement, une guerre commerciale avec l’Europe et les États-Unis, »
conclut Olarreaga.