Après plusieurs années d’intense lobbying, la direction de la banque bretonne semble avoir acté l’échec de son projet d’indépendance, grevé par des polémiques à répétition.
Reculer pour mieux… abandonner. Au terme de six années de lutte acharnée pour obtenir son indépendance de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM), la direction de la banque Crédit Mutuel Arkéa semble rendre les armes et renoncer à son projet. Dans une interview publiée au début du mois de juillet, la nouvelle directrice générale de l’établissement, Hélène Bernicot — qui a succédé à Ronan Le Moal, l’historique DG qui a démissionné de son poste, à la surprise générale et après 25 ans de maison, en février dernier —, a concédé que la banque centrale européenne (BCE), auprès de laquelle le Crédit Mutuel Arkéa a déposé une demande d’agrément bancaire en 2018, avait mis son dossier « sur pause ».
Une pause qui a tout d’une défaite
Une manière élégante d’acter la fin du projet de divorce ? En interne, « plus aucun salarié ne parle du projet d’indépendance. Pour eux, le feuilleton est terminé. Ils n’y croient plus », confie un syndicaliste au Figaro, selon qui ces ultimes manœuvres ne sont qu’une : « façon de sauver la face et sortir la tête haute de ce dossier ». Le pure player Mediapart n’hésite pas, quant à lui, à parler de « défaite en rase campagne de Jean-Pierre Denis face au Crédit Mutuel ». Le PDG de la banque bretonne aurait, selon le journaliste Laurent Mauduit, fait part à son conseil d’administration convoqué en visioconférence de sa décision de « prendre du recul et faire bouger sensiblement (sa) place dans la gouvernance » de l’établissement : « cela me conduira à l’avenir à réduire très sensiblement ma présence et mon interaction avec l’entreprise », a encore reconnu le patron du Crédit Mutuel Arkéa.
En dépit des signes évidents d’échec de son projet, la direction de la banque spécialisée dans les FinTech refuse d’admettre, du moins publiquement, sa déroute. Dans un communiqué présentant les « grandes lignes directrices » du groupe pour les années à venir, sa nouvelle DG Hélène Bernicot déclare que la banque « vise à inscrire sa trajectoire dans la conduite de son projet d’indépendance », mené — contre toute évidence — « avec confiance et détermination ». Projet qui est, malgré tout, repoussé à l’horizon 2024. Le Crédit Mutuel Arkéa a d’autant moins de chances de voler un jour de ses propres ailes que sa direction a, au cours des dernières années, multiplié les gaffes, opérations hasardeuses et autres polémiques compromettant ses velléités séparatistes.
Des polémiques à répétition
Jean-Pierre Denis entrera ainsi dans les annales de la finance pour avoir été le grand ordonnateur de « la première manif payée par une banque » : en mai 2018, plusieurs milliers de salariés du Crédit Mutuel Arkéa avaient battu les pavés parisiens pour exiger l’indépendance de leur entreprise. En réalité, les employés de la banque défilaient contraints et forcés par leur direction, les récalcitrants se voyant menacés de sanctions en interne… Le président du Crédit Mutuel Arkéa restera également dans l’histoire pour avoir été, sans doute, l’un des patrons les mieux payés de France au regard de l’importance, somme toute modeste, de l’entreprise dont il a la charge. De 2009 à 2016, sa rémunération a ainsi été multipliée par quatre, pour atteindre près de 1,6 million d’euros (fixe et variable compris).
Soit davantage que certains « grands » patrons de groupes cotés, comme Stéphane Richard (Orange) ou Lakshmi Mittal (Arcelor Mittal). Au-delà du niveau de rémunération, c’est sa légalité qui est en doute, la CNCM ayant, en janvier dernier, contesté cette dernière en arguant de la loi de 1947 sur les coopératives. Demandant à la direction du Crédit Mutuel Arkéa de résoudre cette « situation de non-conformité », la CNCM a obtenu que Jean-Pierre Denis renonce à sa part variable, se « contentant » désormais d’un salaire fixe de quelque 530 000 euros annuels. Tentant de faire évoluer la gouvernance du Crédit Mutuel Arkéa vers une structure en société à directoire — ce qui lui aurait permis de conserver sa part variable —, le patron de la banque bretonne a, de nouveau, dû se résoudre à faire marche arrière.
Une retraite dorée loin de la Bretagne
Unique motif de consolation : comme l’a révélé Mediapart, Jean-Pierre Denis pourra désormais profiter des somptueux domaines viticoles qu’il a fait acheter dans le Bordelais par le Crédit Mutuel Arkéa — à prix d’or, mais sans oublier son agrément personnel, le dirigeant y disposant d’appartements privés. Une retraite dorée bien loin des terres bretonnes dont il se présentait pourtant comme le premier défenseur.